Le Cachemire indien sous tutelle massivement aux urnes pour des élections locales
De longues files devant les bureaux de vote, sous étroite surveillance de l'armée: la région indienne contestée du Cachemire (nord-ouest) a voté en nombre mercredi pour ses représentants locaux, une première depuis sa mise sous tutelle par le gouvernement de New Delhi.
La décision du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi de révoquer en 2019 le statut de semi-autonomie de ce territoire, que l'Inde et le Pakistan se disputent depuis 1947, a largement irrité sa population à majorité musulmane.
La région de l'Himalaya est depuis dirigée par un gouverneur nommé par le pouvoir central.
Tout au long de la journée, les électeurs se sont pressés dans les bureaux de vote de la principale ville de la région, Srinagar, et sa banlieue pour voter, a constaté un journaliste de l'AFP.
"Dix ans après, nous sommes enfin autorisés à nous exprimer", s'est réjoui Navid Para, 31 ans, arrivé parmi les tout premiers pour déposer son bulletin dans l'urne dans la localité de Pulwama, près de Srinagar. "Je veux que ma voix soit entendue", a-t-il déclaré à l'AFP.
Les 8,7 millions d'électeurs inscrits dans la région du Jammu et Cachemire sont appelés à élire leur assemblée locale, dotée de pouvoirs limités en matière d'éducation ou de culture notamment.
Ce premier scrutin local organisé depuis 2014 est étalé géographiquement et sur trois jours pour des raison de sécurité. La prochaine étape est prévue le 25 septembre, la dernière le 2 octobre.
Le vote s'est déroulé dans un climat "de paix et sans incident", s'est félicité devant la presse le chef de la commission électorale locale, P. K. Pole. "Le déroulement du scrutin suggère une forte participation", a-t-il anticipé.
Nombre d'électeurs ont confié leur volonté d'exprimer dans les urnes leur refus de l'autorité de New Delhi.
"Je veux mon propre gouvernement. Je pourrai maintenant solliciter mon représentant pour régler nos affaires", a expliqué à l'AFP Ahmadullah Bhat en sortant de son bureau de vote des faubourgs de Srinagar.
"Cette administration centrale a pris possession de notre terre quand et comme elle l'a voulu", a déploré cet agriculteur de 47 ans. "J'espère que notre gouvernement va mettre un terme à tout ça".
- "Inquiétude sur le chômage" -
Sous couvert de lutte contre l'insurrection séparatiste qui a fait des dizaines de milliers de morts - civils, soldats ou rebelles - depuis 1989, le gouvernement indien y a sérieusement restreint les libertés, dénoncent les ONG de défense des droits humains.
Lors d'un déplacement de campagne samedi, Narendra Modi, à la tête de l'Inde depuis 2014, a affirmé que son gouvernement avait ouvert dans la région une nouvelle ère de paix et de prospérité.
"Les pierres qui étaient ramassées avant pour attaquer la police et l'armée sont désormais utilisées pour construire le nouveau Jammu-et-Cachemire", a-t-il lancé devant des partisans.
Les incidents armés se sont toutefois multipliés ces deux dernières années, faisant au moins 50 victimes. Deux soldats ont encore trouvé la mort vendredi dernier lors d'un accrochage, selon l'armée.
Un contingent de 500.000 militaires est déployé dans la région pour lutter contre une insurrection séparatiste qui a fait des dizaines de milliers de victimes - civils, soldats et rebelles - depuis 1989.
Au nom de cette lutte contre le "terrorisme", les autorités indiennes ont multiplié les restrictions aux libertés, dénoncent pour leur part les ONG de défense des droits humains.
Au-delà de la politique, la situation économique du Cachemire nourrit toutes les préoccupations.
La région affichait en 2023 un taux de chômage de 18,3% contre 8% en moyenne dans le pays, selon les statistiques officielles.
Malgré des aides publiques et le rebond du tourisme, la suppression des surtaxes qui protégeaient l'industrie locale et la réduction des commandes publiques ont lourdement pesé sur l'activité.
"Ma plus grande inquiétude, c'est le chômage", a résumé sous couvert d'anonymat avant le scrutin Madiha, une étudiante de 27 ans à la recherche d'un emploi. "Le coût de la vie a atteint des sommets."
Les résultats du scrutin sont attendus le 8 octobre.
D. Fjodorow--BTZ